Correction des déformations thoraciques de l’enfant

CORRECTION DES DEFORMATIONS THORACIQUES DE L’ENFANT

Nouvelles techniques : qui opérer et quand ? 

Docteur Eric NECTOUX

I)               INTRODUCTION : Déformations thoraciques les plus fréquentes

Si l’on excepte les déformations ponctuelles dues à des malformations isolées de telle ou telle structure chondro-costale, les déformations globales de la cage thoracique peuvent être regroupées en trois grandes catégories :

-       Le pectus excavatum, ou thorax en entonnoir, présente à décrire une diminution du diamètre antéro-postérieur du thorax, donnant un aspect enfoncé du sternum par rapport au grill costal. Celui-ci se rencontre chez environ 1 à 8 pour 1000 enfants selon les séries publiées, et ce, la plupart du temps, dès la naissance ou dans les premiers mois de vie [1]. Le pectus excavatum rend compte de 85% des déformations thoraciques rencontrées en France. Il concerne en moyenne 4 garçons pour 1 fille. L’étiologie exacte reste inconnue. La théorie la plus communément admise consiste en un excès de longueur des cartilages de croissance costaux, ce qui projetterait en arrière le sternum. A noter une association fréquente avec le syndrome de Marfan, qu’il conviendra de suspecter si d’autres signes sont présents (patient longiligne, arachnodactylie, luxation du cristallin, scoliose, souffle cardiaque…etc.) et avec une scoliose, présente dans 25% des cas environ [2].

-       Le pectus carinatum, ou thorax en carène, présente à décrire une augmentation du diamètre antéro-postérieur du thorax, avec une proéminence du sternum par rapport au grill costal. Beaucoup plus rare en France, il ne représente que 10 à 15% des déformations thoraciques, alors qu’il est retrouvé dans 50% des cas dans les pays sud-américains. L’étiologie n’est pas non plus connue, mais le même mécanisme est suspecté, l’excès de longueur provoquant cette fois ci une projection en avant du sternum.

-       Le pectus arcuatum ou syndrome de Currarino-Silverman, ne rend compte que d’environ 1% des déformations globales du thorax. Il s’agit d’une forme de pectus carinatum des 2 à 3 premières côtes, qui se prolonge par un pectus excavatum sous-jacent. Très rare, il n’est pas décrit dans cet exposé.

 

Toutes ces différentes entités sont évolutives. Parfois, l’évolution va en s’aggravant dès les premiers mois de vie, parfois, il apparait une relative stabilité de la malformation, et c’est pendant le pic de croissance pubertaire que la malformation va subitement s’aggraver. En effet, le volume du thorax va croître de 50% d’un coup en un à deux ans pendant ce pic de croissance.

 

II)              PECTUS EXCAVATUM

1)     Qui opérer ? [3]

Différents critères doivent être évalués avant de décider d’une intervention. Souvent sont retrouvées les constatations suivantes :

-        à l’inspection clinique un creux de plus de 3cm fait l’objet le plus souvent d’une correction chirurgicale

-        l’enfant fait part de plaintes fonctionnelles : intolérance à l’effort, essoufflement, douleurs parasternales…

-        à l’auscultation, présence d’un souffle cardiaque éventuel

-        gêne esthétique

Dans ce cas, il parait licite de proposer un bilan complémentaire. Il faut rappeler à l’enfant et à ses parents qu’une indication opératoire absolue pour raisons fonctionnelles cardio-respiratoires n’est retenue que dans 5% des cas. Toutefois, une participation de symptômes cardio-pulmonaires, mêmes mineurs, à la décision, est fréquente. Il n’en reste pas moins que l’indication est plutôt esthétique que fonctionnelle dans 95% des cas.

Le bilan comprend :

-        une radiographie standard de thorax de face et de profil : elle permet d’évaluer s’il existe des zones d’atélectasie, de s’assurer de l’absence de malformations de segmentation costales, d’évaluer l’enfoncement sternal.

-        des Explorations Fonctionnelles Respiratoires : les EFR vont permettre de quantifier le syndrome restrictif dû au pectus, d’objectiver une éventuelle compression bronchique voire trachéale en mesurant le coefficient de Tiffeneau. Chez l’enfant sportif, le retentissement en situation d’effort peut être également exploré afin d’objectiver la sensation d’inconfort en situation d’effort sous-maximal.

-        une échocardiographie : elle permet d’objectiver la compression cardiaque droite qui est source de gêne au remplissage droit, et participe ainsi à l’explication de la sensation d’intolérance à l’effort. Elle permet aussi de s’assurer de l’absence d’anomalies valvulaires, notamment de prolapsus de la valve mitral, et permet également de repérer des anomalies du rythme cardiaque. Le syndrome de Wolff-Parkinson-White est retrouvé fréquemment chez les patients porteurs de pectus excavatum.[4]

-        une TDM thoracique qui permet au chirurgien de mesurer l’index de Haller qui est le rapport de la plus grande largeur du thorax sur la plus petite profondeur du thorax. Idéalement inférieur à 2, cet index doit être supérieur à 3 pour indiquer de manière formelle la chirurgie. La TDM permet aussi au chirurgien de s’assurer de l’absence d’anomalie entre le sternum et le cœur dans l’optique de réaliser une correction thoracoscopique. En raison de l’irradiation du scanner, il est préférable d’avoir un faisceau d’arguments cliniques et paracliniques au préalable avant d’en demander la réalisation en premier lieu.

Il est également souhaitable de disposer de l’avis d’un psychologue pour toute demande esthétique pure, en raison de la lourdeur du geste chirurgical. Il ne faut pas oublier que les adolescents traversent tous une période de changement d’image corporelle, et qu’ils sont souvent peu satisfaits de cette image. Nous proposons toujours une entrevue avec notre psychologue, et la décision d’opérer ne se fait jamais au premier rendez vous. Il ne faut pas hésiter à voir et revoir les patients avant de prendre la décision.

Enfin, il est important de s’assurer de la bonne compréhension et de l’acceptation des risques inhérents à la chirurgie par le patient et sa famille avant d’opérer.

2)     La technique de Nuss

Auparavant, les techniques employées faisaient appel à des résections chondro-costales, la plus connue étant la technique de Ravitch modifiée par le Pr Würtz à Lille. Cette technique reste indiquée chez les patients adultes avec un thorax très rigide, ou pour les malformations complexes avec asymétrie thoracique majeure et rotation sternale. En effet, cette technique a l’avantage de corriger parfaitement tous types de déformations, sachant qu’un réglage fin de la longueur de chaque côte peut être réalisé. En revanche, elle nécessite une incision bi-sous mammaire ou bi-sous-pectorale qui parfois cicatrise de manière hypertrophique. Dans ce cas la rançon cicatricielle ne fait finalement que déplacer le problème esthétique.

Donald Nuss, à Norfolk en Virginie aux Etats Unis, a eu l’idée de corriger la déformation en poussant le sternum en avant, à l’aide d’une barre métallique introduite en thoracoscopie, concavité en avant. En retournant cette barre, on obtient un système d’appui trois points côte-sternum-côte relativement stable. Cette technique profite ainsi de la grande souplesse du thorax de l’enfant et de l’adolescent. Pour cette raison, la technique de Nuss n’est pas conseillée chez l’adulte. De même, il semble que l’âge minimal de 12 ans soit préférable pour faire cet intervention, afin de prévenir tout risque de limitation de croissance du thorax, ou d’éviter de devoir réopérer l’enfant plusieurs fois pour accompagner la croissance. Le thorax étant très mobile de nature, il convient de stabiliser la barre de différentes manières : stabilisateurs latéraux, fixation costale, doublement de la barre, combinaison de ces techniques.

Principe de l’intervention de Nuss : le retournement d’une barre concave

 préalablement formée repousse le sternum en avant.

Le patient doit toujours être prévenu des complications principales de la technique. Outre l’infection, comme pour toute intervention orthopédique, il convient de signaler la très rare mais très redoutable perforation cardiaque, ainsi que le fréquent mais décevant déplacement secondaire de la barre (5 à 10%), quand bien même elle a été solidement fixée. La chirurgie de reprise est toujours possible mais plus difficile. L’attente psychologique des patients est telle que la déception dans ces cas là est toujours très importante.

Enfin, cette technique ne corrige pas l’anatomie car elle ne fait que repousser des cartilages de croissance trop longs en avant. Il est nécessaire de garder la barre en place deux à trois ans afin d’attendre une conformation définitive des cartilages costaux. Toute activité physique est interdite les trois premiers mois à l’exception d’exercices d’inspiration forcée pour développer les poumons et éviter les atélectasies postopératoires. Tout choc violent doit également être évité après trois mois même si le risque de déplacement est devenu alors beaucoup plus faible : sports de combats, traumatismes de la ceinture de sécurité, chutes avec impact sternal…

 

III)            PECTUS CARINATUM

Les indications chirurgicales pour pectus carinatum sont beaucoup plus rares. En effet, la carène répond très bien à la correction orthopédique par compression. Encore actuellement cette compression est réalisée à l’aide de corsets orthopédiques comprenant des appuis sternaux en mousse. L’ajout régulier de mousse permet la correction progressive du pectus en 6 mois à un an. L’idéal est de commencer le traitement tant qu’il reste de la croissance thoracique, au mieux pendant le pic de croissance pubertaire.

Récemment, un système de compression dynamique a été mis au point en Amérique du Sud [5] et sera prochainement disponible en France. Il consiste en une brassière permettant la compression du sternum, en laissant la possibilité au thorax de regagner en largeur ce qu’il perd en antéro-postérieur.

A titre indicatif, citons dans les cas de thorax très raides qui ne répondent pas à la compression externe la correction par chondrectomie étagée thoracoscopique est à l’étude, même si la technique ouverte comprenant résections chondro-costales et sternotomie reste le gold-standard [3]

Références :

1 : Molik KA, Engum SA, Rescorla FJ, et al. Pectus excavatum repair: experience with standard and minimal invasive techniques. J Pediatr Surg. 2001;36:324–328

2 : Shamberger RC. Chapter 11: Repair of Pectus Excavatum. In: Prem P, Höllwarth M. Pediatric Surgery ,Springer-Verlag Ed. 6th Edition 2006

3: Goretsky MJ, Kelly RE, Croitoru D, Nuss D. Chest wall anomalies: Pectus Excavatum and Pectus Carinatum. Adolesc Med 15 (2004) 455–471

4: Lawson ML, Cash TF, Akers RA, Vasser E, Burke B, Tabangin M, et al. A pilot study of the impact of surgical repair on disease–specific quality of life among patients with pectus excavatum. J Pediatr Surg 2003;38:916–8

5: Martinez-Ferro M, Fraire C, Bernard S. Dynamic compression system for the correction of Pectus Carinatum. Seminars in Pediatric Surgery (2008) 17, 194-200

Enfin, pour ceux qui sont intéressés par l’aspect technique de l’intervention de Nuss, et en français !: Jouve JL. Correction du pectus excavatum de l’enfant et de l’adolescent par la technique de Nuss. In : Conférences d’enseignement de la SOFCOT 2010. Ed. Elsevier Masson SAS.

 

Les troubles de la marche chez l’enfant

LES TROUBLES DE LA MARCHE CHEZ L’ENFANT

Pieds dedans, pieds dehors, genoux dedans, genoux dehors.

 

Docteur Eric NECTOUX

Département de Chirurgie et Orthopédie de l’Enfant, Pôle Enfant

CHRU LILLE, Hôpital Jeanne de Flandre

Avenue Eugène Avinée 59037 LILLE Cedex

Eric.nectoux@chru-lille.fr

Les troubles de la marche de l’enfant sont le pain quotidien de l’orthopédiste pédiatre, étant le motif de consultation le plus fréquent. Ce dernier n’est qu’exceptionnellement en rapport avec une plainte de l’enfant, en revanche l’inquiétude parentale prime : « il tombe tout le temps », « il s’emmêle les pieds ». Après un bref rappel de la croissance physiologique de l’enfant, nous envisagerons les principales pathologies et les conduites à tenir.

 

I)              PIEDS DEDANS, PIEDS DEHORS

1)    Développement normal de la torsion des os longs du membre inférieur [1]

L’orientation des pieds en station debout immobile mais aussi à la marche est fonction de la torsion des deux segments du membre inférieur, fémoral et tibial.

La torsion fémorale se définit par l’angle formé entre le plan col-tête du fémur avec le plan frontal bicondylien. Orienté en avant, cet angle est de 35° à la naissance, et se stabilise entre 10 et 15° à la fin de la puberté. Ainsi, en cas d’antéversion du col fémoral (=antétorsion fémorale), le plan bicondylien va se retrouver orienté en dedans (genoux qui louchent).

La torsion tibiale se définit par l’angle formé entre le plan frontal du genou et le plan passant par l’axe bimalléolaire. Cet angle nul à la naissance, atteint 20 à 30° en fin de puberté en raison de l’apparition progressive d’une torsion tibiale externe physiologique. Genou au zénith, toute hypertorsion tibiale externe ou toute torsion tibiale interne excessive va porter le pied en dehors ou en dedans.

Ces deux torsions, ainsi que leurs variantes pathologiques, peuvent s’associer.

2)    Examen clinique [2]

Les troubles de l’orientation des pieds se démasquent mieux à la marche. L’enfant à tendance à corriger son trouble en se sachant observé, et il faut toujours essayer de lui détourner l’attention plutôt que de le faire marcher « comme pour un défilé de mode ». Il faut regarder l’axe des genoux qui doivent être « droit devant » plutôt qu’orientés en dedans ou en dehors. L’axe du pas doit être neutre ou légèrement en dehors de 10°. Le saut monopodal (après 5 ans) entraîne une accentuation des troubles.

La torsion fémorale s’apprécie en décubitus ventral hanche en extension complète et genou fléchi à 90°. Normalement on retrouve un volant d’amplitudes de 45° en rotation interne et externe. En cas d’hyperantéversion du col fémoral, il est possible d’amener la jambe en dehors dans le plan de la table d’examen (rotation interne+++), alors qu’il est difficile de gagner plus d’une dizaine de degrés en rotation externe.

La torsion tibiale s’apprécie en décubitus dorsal, genou au zénith. La ligne bimalléolaire donne alors le sens et l’importance de la torsion jambière.

Enfin l’examen des pieds s’assure qu’il n’y a pas d’anomalies coexistantes, notamment un metatarsus varus du jeune enfant qui peut donner le change avec une torsion tibiale interne au premier abord.

3)    Examens complémentaires

Ils sont exceptionnellement utiles. Chez l’enfant qui apprend à marcher, il est classique de demander une radiographie de bassin pour ne pas méconnaître une subluxation congénitale de hanche uniquement en cas de forte hyperantéversion dite du col fémoral. La mesure radiologique par TDM, ou plus récemment par stéréoradiographie EOS [3], reste de l’indication du chirurgien orthopédiste, qu’à titre préopératoire, le cas échéant.

4)    Attitude thérapeutique pour les pieds en dedans [4]

a)     Augmentation de la torsion fémorale

C’est le plus fréquent vice de torsion (70% des consultations  pour pieds qui tournent). Il est responsable des rotules qui louchent avec un faux aspect de genu varum. En première approche, il faut viser à supprimer la position assise en W dite « en grenouille ». Dans un tiers des cas, la correction est spontanée jusque vers 15 ans, dans 20% des cas la démarche en rotation interne persiste. Dans 50% des cas environ, le trouble disparait malgré la persistance de l’anomalie architecturale fémorale, grâce à une hypertorsion tibiale externe compensatrice. Dans les cas très sévères et très gênants, une ostéotomie de dérotation peut être pratiquée après l’âge de 8 ans (globalement 1 cas sur 1000).

b)    Torsion interne de jambe

Elle se rencontre chez le jeune enfant (2-3 ans), qui n’a pas commencé sa torsion tibiale externe physiologique. Il faut essayer de supprimer la position assise pieds sous les fesses dite « en prière mahométane ». Ce trouble se corrige tout seul jusqu’à 7 ans environ dans la grande majorité des cas. Exceptionnellement il est indiqué de confectionner des attelles nocturnes avec chaussons de mise en rotation externe. Si le trouble est encore constaté tardivement à l’adolescence, une dérotation de jambe peut être indiquée (là encore de manière très exceptionnelle).

 

5)    Attitude thérapeutique pour les pieds en dehors [4]

 

a)     Coxa retrorsa

Cette rétroversion du col fémorale est rare, caractérisée par des rotules et des pieds orientés en dehors. Cette anomalie se découvre souvent tardivement vers 12-15ans. Cette situation clinique doit pour autant TOUJOURS faire suspecter en premier lieu la bien plus fréquente épiphysiolyse fémorale supérieure de l’adolescent. Il est conseillé dans ce cas de faire pratiquer une radiographie de bassin de face et de hanche de profil selon Dunn. Une correction chirurgicale n’est qu’exceptionnellement nécessaire en fonction des troubles.

b)    Hypertorsion tibiale externe

Elle se définit par une torsion tibiale externe de plus de 55° environ. Cette fois ci, si l’anomalie est isolée, l’angle du pas est exagéré mais les rotules sont dans l’axe.

Souvent cette anomalie correspond très souvent à la correction sous-jacente de l’hyperantéversion du col fémoral évoquée en 4)a). On a alors une « triple déformation » avec hyperantéversion du col fémoral, genoux en dedans, et pieds en dehors. La quadruple ostéotomie de correction, très lourde, n’est qu’exceptionnellement proposée en l’absence de gêne majeure.

6)    Conclusion

La démarche pieds en dedans ou en dehors est donc expliquée par un trouble de torsion des segments jambiers sus-jacents, isolé ou combiné. Ce trouble disparait presque toujours spontanément, ou du moins se corrige de manière à ne pas provoquer de gêne chez l’enfant. Ces pieds qui tournent ne nécessitent donc une consultation spécialisée qu’en cas de persistance du trouble, de gêne importante, ou si le médecin traitant habituel de l’enfant tient à éliminer une possible cause pathologique sous-jacente (épiphysiolyse fémorale supérieure, malformation de membre, séquelle de traumatisme, pathologie centrale…etc.…)

 

II)            GENOUX DEDANS, GENOUX DEHORS

1)    Croissance normale des membres inférieurs. [5]

Comme les déviations de l’axe du pied, les déviations axiales du genou dans le plan frontal sont extrêmement fréquentes chez l’enfant. Le genu varum est physiologique chez le nouveau-né en raison d’une arcuature tibiale frontale. Il doit avoir disparu vers 2 ans. Ensuite apparait un valgus fémoro-tibial jusque vers l’âge de 5 ans, qui va ensuite se résorber. Le morphotype incriminé est souvent retrouvé dans la famille.

Chez le préadolescent, on retient le diagnostic de genu varum au-delà de 4cm d’écart intercondylien (EIC), et le diagnostic de genu valgum au-delà de 8cm d’écart inter-malléolaire (EIM).

Il est primordial de pouvoir classer ces déformations très tôt dans un des deux grands groupes d’anomalies du plan frontal : idiopathique(de loin le plus fréquent) et secondaire (maladies génétiques, épiphysiodèse post-traumatique ou post-infectieuse, vasculaires, infirmité motrice cérébrale a minima…)

2)    Examen clinique [6]

A la marche, on peut noter si les genoux se touchent ou se croisent.

A l’examen statique, il faut placer l’enfant debout rotules de face. On mesure ensuite l’EIC malléoles internes au contact, ou l’EIM condyles fémoraux médiaux au contact. Il faut ensuite répéter ces mesures couché, rotules au zénith. Cette surveillance simple montre, en cas de stabilité des mesures avec la croissance, une correction du trouble.

Il convient également de noter si des troubles de torsion des segments fémoral et tibial sont présents (cf I)2) ).

3)    Examens complémentaires

Il est préférable de réaliser un pangonogramme debout rotules de face lors de la première consultation, pour ne pas méconnaître une cause pathologique. De plus cela permet de localiser le lieu de la désaxation et l’orientation de l’interligne articulaire. Idéalement, cette radiographie devrait être faite par technique EOS moins irradiante[3], mais la couverture nationale est encore faible. En cas de déviation axiale idiopathique, la surveillance ultérieure peut n’être que clinique.

4)    Attitude thérapeutique pour le genu varum.

a)     Genu varum physiologique

Il s’agit de l’arcuature tibiale du nouveau-né. Bénigne, elle est spontanément résolutive et il convient de rassurer les parents.

b)    Genu varum idiopathique

Il s’agit souvent de la persistance puis de l’aggravation du précédent, après l’âge de 2 ans, régulièrement associé à une hypertorsion tibiale interne. Ceci est souvent retrouvé chez les sujets à peau noire. Une surveillance semestrielle est indiquée afin de diagnostiquer une éventuelle maladie de Blount (tibia vara par anomalie de croissance de la physe proximale et médiale des tibias), mais dans la grande majorité des cas, ce trouble finit par se résorber de lui-même. En cas d’aggravation régulière, une radiographie des genoux et une consultation spécialisée sont indispensables.

c)     Genu varum secondaire : post-traumatique, post-infectieux…)

Il est du à une épiphysiodèse partielle interne de la physe fémorale inférieure ou tibiale supérieure (voire mixte). Toute anomalie de la démarche après une fracture des os longs ou une infection ostéo-articulaire doit conduire à une consultation spécialisée, ne serait ce que pour rassurer l’enfant et sa famille, même si habituellement un suivi post-fracturaire ou post-infectieux est organisé par l’équipe qui a pris en charge l’enfant. Le traitement est complexe, car compléter une épiphysiodèse ou pratiquer une désépiphysiodèse donne des résultats inconstants.

d)    Rachitisme et maladies constitutionnelles

Le rachitisme carentiel est malheureusement de plus en plus souvent rencontré, notamment chez les populations immigrées qui n’ont pas de bonne surveillance médicale. Il faut le suspecter typiquement chez les sujets à peau mate ou noire en présence d’un EIC de plus de 5cm après 2 ans. La guérison est spontanée sous vitamine D dans un délai de 1 à 2 ans.

Les rachitismes vitamino-résistants se transmettent sur un mode autosomique dominant, et une histoire familiale est souvent présente. Le bilan phospho-calcique assure le diagnostic en premier lieu, avant la recherche plus spécialisée du type d’anomalie métabolique. Les déformations associées ne se corrigent pas médicalement, et la chirurgie est alors souvent nécessaire.

Certaines maladies constitutionnelles présentent à décrire un genu varum (hypochondroplasie, dysostose métaphysaire de Schmidt…), qui fait souvent l’objet d’une correction chirurgicale en cas de gêne.

5)    Attitude thérapeutique pour le genu valgum

a)     Genu valgum physiologique

Les parents signalent des chutes fréquentes, entre 2 et 5 ans. Trop souvent ces enfants sont vus en consultation spécialisée avec des  semelles de correction d’axe. Coûteuses et inutiles, souvent vantées à tort par les podologues, elles doivent être évitées ! Il convient au contraire de rassurer les parents, la correction étant spontanée dans l’immense majorité des cas.

b)    Genu valgum de l’enfant obèse

De plus en plus fréquent, il s’agit d’un faux genu valgum dans bon nombre de cas. C’est l’excès de tissu adipeux qui gêne le rapprochement des membres inferieurs. Le traitement est ô combien difficile, car il consiste en un accompagnement psychologique et des règles hygiéno-diététiques souvent difficiles à faire observer par l’enfant, mais surtout par sa famille. En cas de doute sur un toujours possible vrai genu valgum, il est tout à fait licite de faire pratiquer un pangonogramme axé des membres inférieurs.

c)     Genu valgum de l’adolescent à IMC normal

L’examen clinique doit éliminer le faux genu valgum, que l’on retrouve parfois chez certaines jeunes filles pourtant de poids normal. Au-delà de 8cm d’EIM, il sera proposé par le chirurgien orthopédiste pédiatre un ralentissement de croissance de la physe tibiale supérieure ou fémorale inférieure à sa partie interne, à l’aide d’un vissage percutané transphysaire, d’une plaque en 8 de correction, ou d’un agrafage selon Blount, ces différentes techniques étant affaire d’école. Cela nécessite de planifier le timing opératoire, et des clichés d’âge osseux selon Greulich et Pyle (poignet ) et Sauvegrain (coude) sont utiles à la prise de décisions.

6)    Conclusion

Le genu varum, physiologique à la naissance, ne peut être vu par l’orthopédiste qu’en cas d’aggravation, d’asymétrie, ou d’EIC majeur > 4cm.

Le genu valgum est banal et résolutif s’il est bilatéral, symétrique et modéré d’EIM < 8cm. Sinon, il doit faire l’objet d’une consultation spécialisée.

 REFERENCES

1 : Cahuzac JP. Vices de torsion du membre inférieur. Cahiers d’enseignement de la SOFCOT. 1989 ; 34 :35-45

2 :Seringe R. Démarche portant la pointe des pieds en dedans ou en dehors. In : « Orthopédie du nouveau-né à l’adolescent ». Ed.Masson, 2è édition. Paris 2005

3: Gheno R, Nectoux E, Herbaux B, Baldisserotto M, Glock L, Cotten A, et al. Three-dimensional measurements of the lower extremity in children and adolescents using a low-dose biplanar X-ray device. European Radiology 2011 Available from: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22011904

4: Fenoll B, Senah C, Cadilhac C. Les « pieds qui tournent ». In: Le pied de l’enfant. Monographie du GEOP. Ed Sauramps, Montpellier 2001.

5: Violas P. Physiopathologie de la croissance des membres inférieurs. In: Conférences d’enseignement de la SOFCOT 2009; Ed Elsevier Masson SAS 97: 207-218

6: Seringe R. Déformations des membres. Genu Valgum et Genu Varum. In : « Orthopédie du nouveau-né à l’adolescent ». Ed.Masson, 2è édition. Paris 2005